Pourquoi ce livre ?
J’ai toujours vécu ma vie en instantané. Ce qui signifie qu’on peut mourir dans la minute ou, petit bout par petit bout, atteindre une impression d’éternité. Je n’ai donc jamais eu le sens du temps qui passe. Dès les jours qui ont suivi le massacre j’ai eu la volonté de faire un livre. Mais j’étais toujours dans cette spirale où une actualité chasse l’autre. Ce n’est pas très glorieux, sûrement une forme d’excuse pour masquer la difficulté de passer à l’acte. Finalement le sujet était trop lourd pour l’exprimer facilement. Disons que ce livre était un peu un testament repoussé qu’il fallait bien finir par écrire. Plus prosaïquement aussi, aucun éditeur ne s’est manifesté pour éditer cet ouvrage avant ma rencontre avec Erick Bonnier.
Dans quel contexte ce massacre a-t-il été commis ?
Au début du mois de septembre 1982, après un siège de près de 3 mois durant lequel ils n’ont pu venir à bout de la résistance des palestiniens, aidés des progressistes libanais, les israéliens ont exigé de la « Communauté internationale » (c’est-à-dire de l’Occident), qu’elle évacue les combattants d’Arafat de Beyrouth. Ce sinistre travail a été fait, principalement par la France, mais il était entendu que les camps de réfugiés « seraient protégés ». Le 14 septembre, l’assassinat de Béchir Gemayel le nouveau président de la République libanaise, vient donner une mauvaise raison à Ariel Sharon, le ministre de la Défense israélien, « d’en finir avec l’OLP ». Il affirme en effet, contre la vérité, que « plus de deux mille terroristes » sont encore cachés à Sabra et Chatila. Avec comme argument venger la mort de Gemayel, alors que les palestiniens n’ont rien à voir dans cet épisode, Sharon ordonne aux tueurs des Forces Libanaises, la phalange chrétienne, de « nettoyer les camps ».
Quels ont été les rôles respectifs des phalangistes et de l’armée israélienne ?
Le partage est clair. Ariel Sharon et son état-major donne l’ordre aux phalangistes d’entrer dans les camps. L’armée israélienne en occupe le pourtour afin que nul ne puisse s’en échapper. La nuit elle tire aussi des obus éclairants afin de faciliter la progression des assassins aux quels elle a donné des armes et des uniformes. Les officiers israéliens, postés sur les terrasses d’immeubles de six étages assistent au spectacle comme dans un stade. Avec mon camarade le photographe Marc Simon, nous avons retrouvé un plan d’invasion du camp établi par les militaires hébreux. Avant d’envoyer les assassins, Rafaël Eytan, le patron de l’armée avait précisé « nous devons considérer les miliciens des Forces Libanaises comme nos soldats ».
C’est donc l’impunité pour les dirigeants israéliens ?
Oui. En dépit du fait que, le 18 décembre 1982, le massacre ait été qualifié de « génocide » par l’Assemblée générale de l’ONU, crime imprescriptible, personne n’a jamais eu le courage de convoquer les coupables devant un tribunal.
Vous indiquez que l’armée française a couvert, après le massacre, une autre rafle de palestiniens…
C’est exact. Le 22 septembre, alors qu’ils venaient de prendre en main la protection des camps, les militaires français ont laissé agir des groupes de, phalangistes revenus sur le lieu de leurs crimes pour faire des « prisonniers ». En réalité les hommes étaient embarqués dans des camions puis ils étaient exécutés quelque part dans le secteur chrétien. On n’a jamais retrouvé les fosses communes mais on pense qu’après les 2 500 à 3 000 morts de la première phase du massacre, 500 victimes sont venues s’ajouter aux autres.
A l’époque j’avais tenté d’alerter l’Élysée, en la personne de Régis Debray qui était le conseiller de François Mitterrand, en vain. C’est aussi pour consigner cet épisode honteux que j’ai écrit ce livre.
Ouvrage : "Sabra & Chatila, au cœur du massacre ".
Photographies de Marc Simon.
Préface de Alain Louyot
Editions Erick Bonnier, collection Encre d’Orient, 20 euros.